Chronique inspirée des Formes du Visible de Philippe Descola (Seuil 2021)
Par Vincent Balmès alias quat’sous
Cette lecture de l’histoire de l’art sous l’angle de l’anthropologie, qui s’ouvre sur les productions des peuples aborigènes, crée une mise en perspective copernicienne de notre regard, des dimensions qui habitent notre geste créateur, du poids des arts plastiques dans les sociétés où ils circulent.
L’approche théorique de la première partie nous expose les hypothèses, aboutissant à de longues années de recherche, de quatre temps et registres de productions des œuvres désignées : animisme, totémisme, naturalisme et analogisme ; les suivantes nous en développent les sources dans le travail anthropologique de terrain auprès des peuples premiers et en démontrent la fécondité.
Étant sculpteur de grands bois, dont je découvre l’histoire de vie inscrite dans les fibres, nœuds et linéaments, j’ai retrouvé dans ces gestes animistes et totémiques la démarche qui m’anime, loin du geste académique ni même contemporain. Cette parenté du vivant que nous partageons avec l’ensemble de la nature, animale ou végétale, s’avère la dimension qui me mobilise, peut être en lien avec ma pratique de psychanalyse auprès des enfants : notre acculturation humaine s’élabore dans la sublimation symbolique de notre donné naturel biologique, sublimation qui est donc la culture elle-même qui formate le sujet humain par sa transmission génération après génération.
Je retrouve la même dynamique dans mon rapport aux forces inconscientes du psychisme humain d’une part ainsi que dans les rapports des artistes aborigènes aux puissances des « esprits du temps du rêve », sources originaires de la création, dans leurs traditions, d’autre part.
Mais la lecture de mes œuvres n’est pas supportée du même fond culturel tribal que celle des aborigènes comme composantes de leur société. L’animisme qui hante mon œuvre tend à la dimension totémique par la présentification sous figurations humaines des forces de vie végétale que j’exhume dans ces bois. La société contemporaine attend dans les arts plastiques, et notamment la sculpture, la figuration analogique ou naturaliste et aborde mon travail dans ce contre-sens d’une recherche de l’anecdote, en perdant la symbolique des forces en tension dans la pièce même.
C’est donc pour moi une rencontre exaltante que la portée de cet ouvrage d’un auteur aussi prestigieux et qui permettra à tout lecteur de s’ouvrir à ce bouleversement copernicien où nous initie Philippe Descola, dans sa relecture de toute l’histoire de l’art en temps structurant de l’humanité dans la diversité des civilisations.