Même les monstres sont beaux !

par Nadja M.

Gelsomina (21 x 30 cm), collage sur papier et couture. Paris, 2020.

Série « Freak’s parade », un hommage au film « La Strada » de Federico Fellini.

Plasticien et participante au projet DF ART, Nadja M partage sa vision du freakish à travers les sujets qu’elle recherche actuellement, et en aparté, à travers la rétrospective Cindy Sherman hébergée par la fondation Louis Vuitton qui doit ouvrir le 23.09.2020, un événement qui a été reporté en raison de la crise sanitaire actuelle.

Pour ma série « Beast & beauty », j’ai ressenti le besoin urgent de déformer la réalité afin d’obtenir une meilleure compréhension de celui-ci moi-même. Mon monde est donc peuplé de figures déformées, une armée de monstres élaborés à partir d’écorce, de fleurs séchées et de laine d’agneau.

Le monstre m’a toujours fasciné sans que je compréhensive vraiment pourquoi. J’ai probablement une sorte particulière d’attraction envers tout ce qui est différent, hors limites, même déformé. Lorsque quelque chose est déformé, cela présuppose une forme préexistant, et donc une norme. Cela transgresse également nos catégories habituelles, mais la frontière entre la normale et l’anormale n’a jamais cessé de se déplacer à travers les siècles.

Étymologiquement, le monstrum évoque l’exposition d’un phénomène frappant et inhabituel; révélant ce que nous voulions cacher, le monstre, celui que nous pointons souvent du doigt, ce qui nous laisse sans voix – cette « monstration » vient perturber notre connexion à ce qu’on appelle l’humanité.

Elle cristallise aussi nos angoisses collectives, comme un exutoire, pour notre plus grande joie, car notre nature humaine, complexe et ambivalente, aime se faire peur.

L’artiste américaine contemporaine Cindy Sherman l’illustre parfaitement. À travers sa photographie où elle est le seul modèle, elle apparaît dans un nouveau « déguisement » (en ce sens qu’elle adopte une nouvelle apparence, laissant son apparence originale derrière). Elle se représente dans des portraits rarement flatteurs. Qu’il s’agisse de la série « Contes de fées » où elle n’hésite pas à utiliser des prothèses (museau, dents, seins) ou des « Clowns » où elle réunit un carnaval de personnages outrageusement massés, Cindy Sherman semble tirer beaucoup de plaisir de l’invention de figures hybrides, comme un enfant espiègle, des figures qui sont mi-homme, mi-femme.

Le plaisir de la transgression, le désir d’inspirer l’aversion, de tourner les codes sur leurs têtes en jetant la lumière sur le laid au lieu de la belle, est, à mes yeux et sans aucun doute, le sujet central de son travail étonnant. Elle nous défie avec une étrange étrangeté semblable à celle qui peuple les frères Grimm contes de fées.

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